La dramatique flambée de violences en cours à Gaza a comme des airs de déjà-vu. [Le 12 novembre], l’armée israélienne a détruit dans une frappe l’appartement de Baha Abou al-Ata, commandant du Djihad islamique impliqué, selon Israël, dans les dernières attaques contre l’État hébreu, le tuant sur le coup avec sa femme. En représailles, ce groupe islamiste palestinien a lancé au moins 450 roquettes en direction du territoire israélien, sans faire de victimes (une grande partie des tirs ayant été interceptée par le système de défense israélien Iron Dome). En réaction, Tsahal a multiplié les frappes contre des positions du Djihad islamique, faisant 34 morts, dont des membres du groupe considéré comme terroriste mais aussi des civils. Dans la nuit de mercredi à jeudi, huit membres d’une même famille, dont cinq enfants, ont perdu la vie dans un raid aérien. Pour mettre fin à cet incontrôlable cycle de violences, un cessez-le-feu a été négocié par les deux parties grâce à une médiation de l’Égypte et de l’ONU. Or ce calme apparent est plus que jamais précaire.
Si elle paraît désormais habituelle, cette séquence tragique comporte néanmoins une différence notable. Pour la première fois, elle n’implique pas le Hamas. En effet, aucune frappe israélienne n’a visé pour l’heure les positions du mouvement islamiste à Gaza, qui, de son côté, s’est bien gardé de riposter aux raids israéliens. La doctrine de Tsahal selon laquelle le Hamas, en tant que groupe à la tête de l’enclave palestinienne, porte la responsabilité de toutes les attaques lancées depuis Gaza a fait long feu.
« Nous avons voulu garder le Hamas hors des combats, a confirmé [le 14 novembre] le porte-parole de l’armée israélienne. Nos actions étaient mesurées, proportionnées, et se concentraient uniquement sur les actifs militaires du Djihad islamique. » D’après le porte-parole de l’armée israélienne Jonathan Conricus, l’État hébreu tenait Baha Abou al-Ata, le commandant du Djihad islamique abattu, pour responsable « de presque toutes les attaques contre Israël au cours des six ou sept derniers mois ».
« Garder le Hamas hors des combats »(Tsahal)
« Israël avait intérêt à limiter cette opération à une action ciblée et rapide, et à ne pas s’attaquer au Hamas, ce qui aurait provoqué un conflit de plus longue durée », estime Ely Karmon, chercheur en problématique stratégique et en contre-terrorisme au centre interdisciplinaire de Herzliya (Israël). « Le Djihad islamique est considéré comme l’enfant terrible de la bande de Gaza et n’est pas contrôlé par le Hamas. Et celui-ci n’avait pas besoin d’un trouble-fête comme Baha Abou al-Ata. »
Créé au début des années 1980 par des Frères musulmans palestiniens vivant en Égypte, le Djihad islamique palestinien est une organisation considérée comme terroriste par les États-Unis et l’Union européenne. Jugée plus radicale, même si bien moins armée que le Hamas, cette formation exclusivement militaire a pour but la destruction d’Israël et la création d’un État palestinien islamique. Elle compte près de 6 000 combattants dans la bande de Gaza.
« Entièrement dépendant de l’aide de l’Iran, le Djihad islamique estime qu’il faut libérer la Palestine avant de prendre part au jeu politique palestinien, ce qui lui assure une grande assise auprès de la population », souligne Xavier Guignard, enseignant à Sciences Po Paris et chercheur spécialisé sur la Palestine à l’Institut Noria.
Discussions avec Israël
« Le Djihad islamique est entièrement inféodé à l’Iran et agit selon les ordres de Téhéran pour déstabiliser Israël, ce qui n’est pas le cas du Hamas qui est davantage un allié de la République islamique », rappelle de son côté Ely Karmon. Créé en 1987, le Hamas possède pour sa part, outre sa branche militaire, une branche politique. Prônant toujours officiellement la disparition d’Israël, cette organisation de 30 000 hommes, elle aussi issue des Frères musulmans, est arrivée au pouvoir à Gaza à l’issue d’un coup d’État en 2006.
« Le Hamas n’a pas intérêt à repartir dans un cycle de violences, car il paierait rapidement les conséquences d’une nouvelle destruction de Gaza en termes de mécontentement populaire », pointe Xavier Guignard. Avec en ligne de mire la possibilité d’élections législatives et présidentielle à partir de février 2020, pour la première fois en quatorze ans, auxquelles les dirigeants du mouvement islamiste ne se sont pas opposés.
Dans une interview à l’Agence France-Presse, Bassem Naïm, un cadre du Hamas, a justifié la retenue actuelle dont fait preuve l’organisation islamiste. « Le Hamas croit au droit des Palestiniens à se défendre et à résister à l’occupation, mais nous devons gérer nos relations avec les forces d’occupation et prendre en considération un contexte complexe, ce qui signifie parfois devoir modérer notre réponse dans l’intérêt suprême de la Palestine. »
Soutenu par l’Iran, mais aussi par la Turquie et le Qatar, le Hamas négocie depuis un an un cessez-le-feu durable avec Israël, par l’intermédiaire de l’Égypte et des Nations unies, afin d’améliorer les conditions de vie de la population gazaouie. Faisant face à un triple blocus maritime, terrestre et aérien par Israël et l’Égypte depuis treize ans, les habitants de Gaza n’épargnent pas pour autant le mouvement islamiste, qu’ils jugent en partie responsable de la crise économique et sociale frappant le minuscule territoire. Une ligne « pragmatique » incarnée par son nouveau chef à Gaza depuis février 2017, Yahya Sinwar. Sous sa direction, le Hamas a considérablement réduit le nombre de ses roquettes tirées directement contre l’État hébreu, laissant ce rôle au Djihad islamique.
« Il existe un commandement militaire unifié entre toutes les factions de Gaza permettant de se coordonner sur le type de réponse à apporter à Israël, précise le chercheur Xavier Guignard. Cet organe de concertation semble avoir donné le monopole de la riposte au Djihad islamique pour marquer son opposition à l’assassinat de son commandant. »
En parallèle, Israël a accepté d’alléger quelque peu les strictes conditions du blocus contre Gaza. En fonction des mois – et des tensions avec les factions palestiniennes –, l’État hébreu autorise le Qatar à verser des dizaines de millions d’euros pour le paiement des fonctionnaires gazaouis, élargit la zone de pêche de l’enclave jusqu’à 15 milles nautiques et accorde à la population des milliers de permis de travail supplémentaires en Israël. « Clairement, le Hamas n’a pas intérêt à riposter à Israël en ce moment, affirme le spécialiste militaire Ely Karmon. Il a compris que Benyamin Nétanyahou était prêt à négocier un accord sérieux avec lui. » Pendant ce temps, les négociations entre Israël et l’Autorité palestinienne, qui a pourtant renoncé à la lutte armée, sont, elles, au point mort.